Poussière de lune si légère,si fragile...

Le crépuscule tombait sur le jardin enveloppant les arbres, les fleurs de ses grands bras protecteurs, rendant l atmosphère feutrée, projetant ses ombres pourpres et bleutées sur l herbe fraîche.
Soudain, un bruissement imperceptible vint troubler cette quiétude intemporelle.

Elle vint se poser là, doucement, sur le sol vert émeraude, tel un insecte cherchant le repos sur le pétale d une fleur.
Épuisée, diaphane, désincarnée. Qui était-elle? Elle ne le savait même plus. Cachée par de longs voiles gris se soulevant au rythme de sa respiration, elle reposait là les yeux fermés, pâle, si pâle...
Était-elle seulement encore en vie?

Poussière de lune... voici ce que je suis... Et elle tourna son visage vers le ciel.
les astres miroitaient dans ses yeux translucides.

Le Jardin a été visité.

Les branches ont frémi, chatouillées par un vent qui n'a pas de Nom.

Mais il est empreint de saveurs et d'arômes qui le font sursauter. Il se lève et remonte à la source, lentement, comme un processionnaire subjugué. Il entend l'appel et voit la détresse, et son coeur se serre.

Il marche vers Elle, qui sait ce qu'il trouvera.

Malgré sa faiblesse, ses sens étaient aiguisés, et même encore plus. Elle avait senti la présence. Avec une rapidité surprenante, elle couvrit son visage à l aide de ses voilages. Seules quelques mèches folles et blond cendré s échappaient de leur prison et voletaient comme suspendues dans l air.

Odon...

Sa voix n était qu un murmure et semblait de venir de nulle part. Tant de tristesse, tant de souffrance... Elle était à bout de forces et ne pouvait se tenir sur ses jambes pour accueillir celui qui venait à elle.
Lentement pourtant, elle leva son visage à présent voilé vers lui, toujours couchée sur le sol, en appui sur un coude.

La pénombre était dense à présent. Poussière de lune frémissait légèrement. Elle avait peur... Pour la première fois de sa vie, elle ressentait cette émotion primitive, devant laquelle elle n avait jamais eu de pitité mais un vague sentiment de dégoût et de mépris.

Nul parfum, nulle émotion. Seule cette aura qui aveugle. Si puissante et pourtant si ténue.
Il sait. Il sent. Du moins le croit-il.

Il avance une main vers un fruit mûr qui s'offre et le cueille sans sourciller.

Sans quitter l'apparition des yeux, il dépose aux pieds d'une licorne facétieuse, le fruit qu'elle convoitait.
Puis il avance.
La silhouette qu'il devine le transperce.
Il sait. Il sent. du moins le croit-il...

Elle le vit avancer vers elle et eut un mouvement de recul...

Si différente et pourtant... pourtant tant de souvenirs... Elle ferma les yeux. Elle ne pouvait supporter de se montrer si affaiblie, si désincarnée. Etait ce de l orgueil? Non, elle etait trop fragile... De la honte.

Poussiere de lune tenta de se lever sur ses jambes. Elle s appuya sur le tronc d un vieil arbre sans âge dont l écorce lui écorcha cruellement la main. Appuyée contre l arbre, elle contempla sa fine main blanche, presque grise, blessée et tremblante. Un vertige la saisit, mais enfin elle était debout pour faire face à son interlocuteur. Au moins elle se tenait digne, comme elle l avait toujours fait.

Les années s'effacent, les blessures se ferment, tout un monde se tait et retient son souffle.

Soudain, l'évidence. La fulgurance, l'énergie devient fontaine et abreuve les sillons sur ses joues.

Il tombe à genoux, tend les mains vers ce qu'il croit être un mirage, pleure déjà sur les caprices du vent qui l'emportera, et dans un murmure qui hurle de joie:

VOUS !!!

Très vite il se reprend, ramasse sa carcasse et la lance vers Elle.
Il ne la touche pas, mais le voudrait. Il ne l'aide pas, mais il s'assied auprès d'elle, tire de sa besace un flacon bleuté et le tend à l'Apparition.

A NAUSICAA ...

Nausicaa...

Poussière de lune a entendu. Ses yeux s'écarquillent, ses pupilles se dilatent, les souvenirs affluent dans son âme meurtrie. Une brise légère vient les entourer faisant se soulever les longs cheveux cendrés de Poussière de lune, la faisant ressembler à une gorgone. Son visage est découvert, le vent à soulever les longs voiles qui flottent désormais autour d elle.

Elle a tellement changé, elle parait si frêle... Elle prend le flacon des mains d Odon et le porte à ses lèvres avec fébrilité. Elle tremble toujours. Elle boit 3 longues gorgées et dit simplement

Merci...

Elle ne le regarde toujours pas. A présent, elle est moins pâle, ses lèvres sont moins bleutées. Enfin, elle parle :

Vous m' avez donc reconnue... Comment pourrait-elle le croire, elle même qui ne sait plus qui elle est...

Les choses semblent s' éclaircir dans son esprit affaibli. A présent, elle se souvient :

La fuite en avant. Fuir, disparaître... Elle est l'incarnation, la déesse de la Vallée du Vent. Elle est légère et vaporeuse, elle insuffle force et courage, semble toujours sur le point de s'évanouir et pourtant reste, toujours et éternellement là. Elle est là depuis la nuit des temps...

Le vent souffle à présent, les fleurs et les herbes folles se courbent dans le jardin. Des feuilles enfin libres tourbillonnent autour d eux.

Poussière de Lune parait s'éveiller d'une longue torpeur, sa longue robe parée de voiles immenses claque dans l'air comme un étendard, ses joues fouettées par le vent rosissent peu à peu, ses yeux brillent d'une lueur vive. Elle sourit à Odon.